XXXVII

L’homme était assis au bord de la route et regardait au loin, mais ses yeux ne fixaient rien de précis et, pourtant, ils n’étaient pas vides.

Il n’était vêtu que d’un pantalon, coupé bien au-dessus des genoux. Il avait les cheveux longs, pendant autour de son visage. Sa barbe était emmêlée et pleine de sable. Son visage émacié était tanné par le soleil.

Mona Campbell arrêta sa voiture, descendit et resta un instant à le regarder. Aucun signe ne révélait qu’il se fût aperçu de sa présence et son cœur s’emplit de compassion en le voyant parce qu’on sentait en lui un égarement et un vide qui retiraient tout sens à l’existence.

— Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ? demanda-t-elle.

Au son de sa voix, l’expression de ses yeux changea. Il remua un peu la tête et leva les yeux vers elle.

 

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Sa voix était rauque. Et qu’est-ce qui va ? Pouvez-vous me dire ce qui est bien ou mal ?

— Quelquefois, dit-elle. Pas toujours. La frontière est souvent difficile à déterminer.

— Si j’étais resté, dit-il, si j’avais prié un peu plus. Si j’avais creusé un trou plus profond et si j’avais planté la croix… Mais tout cela ne servait à rien…

Sa voix se perdit dans le néant et ses yeux fixèrent de nouveau le lointain, le vide de l’infini.

Elle remarqua alors, pour la première fois, le sac qui était par terre, à côté de lui, apparemment fait avec le tissu qu’il avait déchiré de son pantalon. Il était à moitié ouvert et elle vit à l’intérieur, en vrac, les figurines de jade sculpté.

— Vous avez faim ? Vous êtes malade ? Vous êtes sûr que je ne peux rien pour vous ? demanda-t-elle.

C’était idiot, pensa-t-elle, de s’être arrêtée, idiot d’être debout sur cette route, en train de parler à cet homme sans vie et sans ressort.

Il remua un peu. Ses lèvres s’entrouvrirent, comme s’il voulait parler, puis se refermèrent.

— S’il n’y a rien que je puisse faire pour vous, eh bien ! je vais poursuivre ma route.

Elle fit volte-face et se dirigea vers la voiture.

— Attendez, dit-il.

Elle se retourna. Des yeux affligés la fixaient.

— Dites-moi ! La vérité existe-t-elle ?

Ce n’était pas une question en l’air. Elle le comprit.

— Je crois que oui. Les mathématiques renferment une part de vérité.

— J’ai demandé la vérité et voilà ce que j’ai trouvé.

Il donna un coup de pied dans le sac. Les jades s’éparpillèrent sur l’herbe.

— Est-ce que ça se passe toujours comme ça ? Vous cherchez la vérité et vous récoltez un trésor en prime. Vous trouvez quelque chose qui n’est pas la vérité et vous le prenez quand même, parce que c’est mieux que de ne rien trouver.

Elle recula. L’homme était complètement fou.

— Le jade. Il y avait un autre homme qui cherchait le jade.

— Vous ne comprenez pas, dit-il.

Elle hocha la tête, désireuse de partir.

— Vous avez dit que les mathématiques contenaient la vérité. Est-ce que Dieu est une page de mathématiques ?

— Je ne saurais le dire. Je me suis seulement arrêtée pour voir si je pouvais vous aider.

— Vous ne le pouvez pas. On ne peut pas s’entraider. Autrefois, c’était possible, nous pouvions espérer cette aide dont nous avons tous besoin. Mais c’est terminé. Il n’y a plus aucun moyen, je le sais, parce que j’ai essayé.

— Il y a peut-être un moyen, lui dit-elle doucement. Il y a une équation qui vient d’une planète oubliée depuis longtemps…

Il se leva à demi. Sa voix se cassa et il hurla :

— Aucun moyen, je vous le dis, aucun moyen ! Il n’y a jamais eu qu’un moyen et ce moyen n’existe plus.

Elle s’enfuit en courant. Arrivée à la voiture, elle s’arrêta et se retourna. Il s’était effondré de nouveau. Mais ses yeux la fixaient toujours, plein d’une indicible horreur.

Elle essaya de parler mais les mots lui restèrent dans la gorge.

Et, dans le silence environnant, il parla à voix basse, comme pour livrer un secret, un affreux secret :

— Nous avons été abandonnés, dit-il. Dieu nous a tourné le dos.

 

 

FIN



[1] Traduction littérale de to terraform, néologisme cher aux auteurs de science fiction américains et signifiant : créer des conditions terrestres sur une planète donnée (N.D.T.)

[2] Traduction littérale de to terraform, néologisme cher aux auteurs de science fiction américains et signifiant : créer des conditions terrestres sur une planète donnée (N.D.T.)

[3] De l'anglais « monitor » ; appareils de contrôle et d'écoute radio.

[4] Noyer d'Amérique (N.D.T.)

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